Ces deux Principes correspondraient à des éléments mâle et femelle qui étaient réunis dans l’œuf philosophique
; si, en réalité, nous ne sommes pas plus avancés avec cette nouvelle définition, d’autres lectures permettent de circonscrire avec (un peu) plus d’exactitude les fameux Principes ; il est écrit par exemple que le Soufre Principe était tout bonnement… de l’or, ce qui fit parfois le bonheur de certains charlatans se prétendant alchimistes qui l’associèrent à des composés indéterminés (du genre simple mercure par exemple) ; après calcination du mélange, seul l’or brillant d’un jaune éclatant était présent et la supercherie se révélait parfaite (les historiens de l’alchimie racontent que ce genre de manipulation fut relativement fréquent) !
Quant à la semence femelle, autrement dit le Mercure Principe (qui est différent du mercure normal matérialisé en chimie par le symbole Hg), c’était le Mercure des philosophes. Assemblé au Soufre Principe dans le récipient idoine, le Mercure Principe dissolvait l’or et une poudre noire en résultait au bout de six mois (appelée quelquefois tête de corbeau : cf. l’explication ci-dessous). Celle-ci, au contact de la chaleur, devenait une teinture blanche, encore appelée petite Pierre philosophale, qui permettait d’obtenir de l’argent et qui, en augmentant le feu, se colorait en une matière passant par des couleurs bleu-vert, puis jaune orangé pour se terminer par un beau rouge rubis : cette dernière teinte constituait la preuve irrémédiable de la présence de la Pierre philosophale tant recherchée ! En résumé, le secret de cette pierre revenait apparemment à solutionner celui du Mercure Principe et le problème n’était pas résolu pour autant puisqu’on ne savait toujours pas comment se procurer ce dernier constituant.
La recherche du Mercure Principe
Les alchimistes ont pourtant, durant des siècles, passé en revue la grande majorité des corps chimiques connus et tout particulièrement l’arsenic, le salpêtre ou l’antimoine... Ceci dit, leurs recherches étaient différentes des opérations chimiques classiques que nous connaissons car elles faisaient intervenir le zodiaque, les adeptes s’appuyant sur la position des étoiles et sur des données saisonnières ou équinoxiales.
Les opérations alchimiques selon les saisons…
- le premier semestre
Pour les adeptes, l’année démarrait au printemps, formé des trois signes suivants : le Bélier, le Taureau et les Gémeaux. Ceux-ci étaient à rapprocher successivement de la calcination, c’est-à-dire de l’étape où la matière était pulvérisée, puis de la congélation (appelée aussi coagulation) où la matière était alors réduite à l’état de cendre et enfin la fixation qui était en réalité la cuisson de ladite matière permettant de tester sa résistance au feu.
La même analyse pour l’été amène les signes du Cancer, du Lion et de la Vierge qui étaient eux-mêmes en rapport avec la dissolution, à savoir la liquéfaction de la matière, puis la digestion qui était en fait le mélange du liquide avec un fluide et enfin la distillation qui était censée séparer les parties subtiles pour les faire circuler dans un vase.
Ces six mois pouvaient être à leur tour regroupés dans un stade global de déstructuration de la matière assez sombre et pour tout dire carrément noir : c’est pour cette raison que les alchimistes le qualifiaient de noircissement ou parfois de nigredo. Cette demi-année était donc l’espace temps nécessaire pour obtenir la coloration noire de la Pierre philosophale.
- le second semestre
La seconde partie de l’année était consacrée à d’autres opérations. Si l’on considère l’automne et ses trois signes, la Balance correspondait à la sublimation quand on purifiait la matière. Le Scorpion était la phase de séparation ou si l’on veut établir un comparatif avec la chimie, de dissolution. Quant au dernier signe, le Sagittaire, il était synonyme d’incération, époque où l’on pouvait obtenir l’extrait sec.
Terminons avec les signes de l’hiver où l’on s’acheminait vers le dénouement : d’abord le Capricorne où s’élaborait la fermentation, en clair l’action de l’air sur la matière, puis le Verseau où se déroulait la multiplication (la poudre ou la Pierre philosophale se multipliait pour atteindre une qualité proche de la perfection comme on l’a vu précédemment) et enfin les Poissons, temps pendant lequel la projection avait lieu.
Cette seconde demi-année était donc la période de l’œuvre en blanc (ou albedo) amenant l’adepte à réaliser une transmutation d’un métal en or. Celui-ci parvenait alors au dernier stade : l’œuvre en rouge encore dénommée rubedo ou rubification (certains alchimistes considéraient un quatrième stade intermédiaire de jaunissement s’intercalant entre le blanc et le rouge, d’où des témoignages faisant parfois état d’une Pierre jaune) quand la Pierre philosophale était dans son état final.
Une interprétation symbolique
Le rapport à la religion n’étant jamais très éloigné au Moyen Âge, il n’est pas surprenant que des collusions symboliques avec le christianisme se soient manifestées quasiment spontanément : ainsi le nigredo a été associé à la mort du Christ, la descente au sépulcre… Par suite, il devenait presque évident de considérer l’albedo, qui était une sorte de régénérescence de la matière, comme la Résurrection. Quant au rubedo, c’était alors le jugement des morts et des vivants. Ces trois moments bien distincts étaient réunis dans la fameuse expression Vitriol, contraction de l’expression latine Visita Interiorae Terrae Rectificando Invenies Occultum Lapidem qui se traduisait par : Visite les parties intérieures de la Terre, par rectification tu trouveras la pierre cachée illustrant les trois couleurs mentionnées plus haut : la première proposition se rapportait au nigredo, quant à l’action de rectifier, elle correspondait à l’œuvre en blanc (albedo) et il est évident que la pierre cachée était l’obtention de la Pierre philosophale servant aux projections, c’est-à-dire le rubedo.
Conclusion
Bien que cela soit un peu court (car le Mercure Principe s’est perdu dans la nuit des temps…), nous en resterons là pour la détermination de ces deux Principes. S’ils ne furent jamais élucidés, il faut, à notre sens, en retenir néanmoins deux points :
- d’abord, et c’est une évidence qu’il est impérieux de souligner ou de rappeler, c’est qu’ils n’ont rien de commun avec leur sens chimique connu de tous ;
- seules leurs connotations symboliques sont dignes d’intérêt, comme nous l’énoncions dès le début de cet article, avec le rapport aux genres masculin et féminin, d’où leur représentation sur les planches alchimiques par « l’homme et la femme » ou « le roi et la reine… »
Après ces généralités sur les débuts de l’alchimie, nous tenterons, dans notre prochaine intervention, d’évoquer les grandes figures de l’alchimie médiévale…